Ça m’énerve, cette histoire de burqa qui vient à point, en France, pour divertir le bon peuple rendu hagard par les incessantes cruautés inventées par son omniprésident. En plus, évidemment, cela donne de nouveau l’occasion à certains de dire n’importe quoi. Non tant sur l’oppression des femmes, mais sur «l’incapacité civilisationnelle» des autres, les «pas comme nous»…
Commençons par quelques précautions oratoires : je suis féministe depuis que je me connais, militante (à gauche, cela va sans dire, mais je le dis) depuis à peu près aussi longtemps. Je hais les machistes, les mâles autoritaires qui savent mieux que les femmes ce qui est bon pour elles. Mais je hais tout autant les faux-culs qui utilisent le féminisme pour distiller des discours hostiles ─ et commettre des actes du même tonneau, tant qu’à faire ─ contre tous ceux qui ne sont pas de bons Occidentaux mâles, blancs, bourgeois, hétéros.
Je me moque éperdument du faux débat sur le port du voile, lancé en France dans les années 1980 déjà, et réactivé régulièrement. Il ne vaut pas la peine. A ce propos, lisez plutôt Les Filles voilées parlent, ouvrage collectif publié par les éditions La Fabrique, c’est très instructif.
Or ce matin, je suis tombée sur un article du site militant Bellaciao, signé Akram Belkaïd. L’auteur écrit:
«Commençons par une nécessaire mise au point. Rien dans l’islam ne justifie ou n’autorise que l’on couvre une femme de la tête aux pieds. (D’accord.) La burqa ne devrait pas exister. (Encore d’accord.) Elle est la négation de l’être vivant (?), un symbole d’arriération mentale et d’incapacité civilisationnelle.»
Au secours!
Ce monsieur défend indéniablement une position progressiste, voire féministe, et dans la suite de son texte, se veut non raciste. Il cherche aussi à analyser pourquoi les Français sont régulièrement saisis d’une polémique mettant en cause l’islam, et pourquoi ils peuvent se sentir «agressés» par des dames portant burqa arpentant les rues franciliennes. Il comprend tout à fait que «la vision de la burqa impressionne pour ne pas dire qu’elle fait (très) peur.»
Ce ne sont pas ces derniers propos qui m’énervent. Mais la propension des Occidentaux, ou assimilés, au sens strict du terme ─ donc soumis à l’idéologie dominante des mâles, blancs, bourgeois, etc. ─ à déceler dans de nombreuses coutumes étrangères forcément un signe d’arriération et de blocage à l’époque médiévale. C’est la version moderne des sauvages (pas si bons que ça) et des sociétés « primitives ».
Or la burqa, ce n’est justement pas ça ! La burqa, croyez-le ou non, est une invention moderne!
Ce n’est évidemment pas moi qui le dis, mais Christopher Alan Bayly, historien britannique, auteur d’un épais ─ et passionnant ─ ouvrage sur La Naissance du monde moderne.
Comme signe de la modernité, il pointe l’uniformisation progressive des usages dans le monde entier depuis 1750. Ainsi s’instaure par exemple le contrôle du temps, ce qui signifie horloges, montre de gousset et respect des horaires. Cela comprend aussi les usages relatifs au corps et donc les tenues vestimentaires: les classes dominantes masculines de tous les continents portent cet «uniforme» ─ c’est le cas de le dire ─ de la bourgeoisie qu’est la redingote. Quant aux femmes bourgeoises, elles s’étranglent la taille jusqu’à se couper la respiration dans des corsets lacés serré.
Au détour du chapitre, M. Bayly, vient alors secouer quelques idées reçues. Précisément à propos de la burqa. Je donne la citation en entier, elle en vaut la peine :
«En 1780, la modestie exigeait de nombreuses femmes à travers le monde, du Bengale aux Iles Fidjî, qu’elles gardent les seins nus. En 1914, les missionnaires chrétiens et les réformateurs des mœurs indigènes avaient fait en sorte qu’une poitrine nue soit considérée comme indécente. Cela constitua en soi une formidable inversion dans le processus déterminant les usages relatifs au corps. Dans le monde musulman, la burqa islamique, recouvrant totalement le corps des femmes, connut une popularité croissante. Souvent considérée, à tort, par les Occidentaux d’aujourd’hui comme une forme d’obscurantisme médiéval, la burqa fut en réalité la forme moderne que dut prendre leur vêtement pour permettre aux femmes de sortir de leur réclusion domestique forcée et de jouer un rôle, même limité, dans les affaires publiques et commerciales»…
Non, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit! Je ne dis pas qu’il faut imposer aujourd’hui la burqa aux femmes parce qu’elle aurait été moderne, voire émancipatrice, au début du XXe siècle en Afghanistan !
Je proteste simplement contre le fait qu’elle soit forcément interprétée comme un signe d’arriération mentale et d’incapacité civilisationnelle des peuples musulmans. Car ça, c’est du racisme, où je ne m’y connais pas. Même paré des couleurs d’un féminisme de bon aloi…
Illustration: Bandeau du Portail des femmes sur Wikipedia
5 commentaires
Comments feed for this article
26 juin 2009 à 11:05
Dani
Vous avez mille fois raison : luttons contre l’oppression des femmes sans catégoriser définitivement les musulmans comme des « incapables civilisationnels ».
Pourquoi certains sont-ils incapables de séparer les deux choses ?
Si vous visitez certains blogs sur le site de 24 heures (notamment ceux des politiciens UDC), vous verrez qu’une certaine faune (portant les pseudos de Scipion, Géo, Corélande – notamment) fait assaut de propagande raciste à longueur de journées ou presque !
Sidérant, révoltant, misérable….. pour tout dire dégoûtant.
26 juin 2009 à 11:13
alinetestuz
Merci du commentaire! Je ne vais quasi jamais lire les commentaires sur les blogs UDC de 24 heures, je sais pourquoi: l’indignation me donne des envies de piquer des fourchettes bien rouillées dans les fesses de leurs auteurs… Jouissif, comme fantasme, mais totalement inutile. Il vaut mieux faire comme vous, et comme moi, et comme d’autres, écrire un billet quand ça déborde. Ici ou là, quelqu’un le lit…
27 juin 2009 à 17:49
Dani
Vous avez certainement raison ! 😉
19 décembre 2009 à 21:59
Hana
Merci, merci, mille fois merci! Simplement pour être consciente que la burqa est un faux problème, surtout en ce moment… J’ai cru délirer en lisant les commentaires sur 24 heures, jusqu’à ce que quelqu’un mette un lien sur ce blog. Pfiou, une vraie bouffée d’air frais!
Quelle horreur ces gens qui pensent tout savoir « l’islamisme dans les quartiers est le fléau du XXIe siècle, renvoyons-les chez eux »… sauf qu’ils sont chez eux. Ca m’ulcère de voir le gros foin qu’on fait de quelque chose qui à priori relève du détail (2000 femmes en burqa et 800 000 sans-abris… ça se passe de commentaires), et qu’en plus ça conforte M. Dupont qui depuis toujours le savait que ces musulmans ils étaient dangereux!
Comme disait Gandi, « La règle d’or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu’une partie de la vérité et sous des angles différents. »
20 décembre 2009 à 18:53
alinetestuz
Oui, ce qui se passe et se dit aujourd’hui à propos des musulmans, des minarets, de la burqa sent vraiment mauvais. Heureusement, ici ou là – mais pas dans 24 heures, évidemment – on peut lire les propos de gens qui résistent. Ainsi, je vous suggère d’aller lire sur le blog des livres du Nouvel Obs le face à face entre Alain Badiou et Alain Finkielkraut, où ce dernier se fait proprement étriller sur ce genre de positions. Cela remet de bonne humeur! Sauf que je ne vois pas comment mettre le lien en hypertexte dans les commentaires, toutes mes excuses…
http://bibliobs.nouvelobs.com/20091217/16522/finkielkraut-badiou-le-face-a-face